☕️ Journal : Terminal 2E

En descendant du train,
En empruntant l’escalier mécanique,
Je me suis dit que c’était un moment important.
Que je devais sentir chaque instant, chacun de mes pas.

Trouver le bon hall.
Je suis tellement en avance que le vol n’est pas encore affiché.
Obligé de regarder sur Internet.
Je déteste déjà l’endroit.

Terminal 2E.
Prévoir 35 minutes de déplacement.
Des personnes marchent sur le tapis mécanique avec leur oreiller de cou. Tant de préparations — ou d’habitude(s). Des groupes. Des familles. Un homme bronzé, en chemise et short, avec comme seul bagage un sac à dos minimaliste — j’imagine la voiture de luxe et une deuxième garde robe qui l’attendent à son arrivée.

Des machines emballent de plastique des valises, elles aussi en plastique. Des tours et des tours de film plastique, jusqu’à n’en plus reconnaître ce qui est en-dessous.
La personne qui “emballe” me fait penser à un mélange de forain présentant un tour de magie. Il y a un côté spectaculaire, une agilité dans les gestes, un talent à faire détourner le regard de ce qui se passe vraiment.
Mais il n’y a rien de magique, juste une nécessité pour vivre — un passe-temps pour d’autres.

Je le détourne, le regard, ça m’est insupportable.

Des militaires passent.
Des hôtesses attendent.
Des muscles. Du rouge à lèvres.
Des bérets. Des cheveux lisses et bien tirés.
J’ai l’impression que tout est représentation.
Une pièce de théâtre qui s’ignore (ou se joue d’/dans elle-même).
Une comédie qui s’annonce tragique.

On me demande deux fois mon billet.
On me sourit toujours en me disant que tout va bien.
À qui ce message est vraiment destiné ?

Au bout de la file d’attente, on me dit d’avancer.
Je ne comprends pas, le seul guichet ouvert est occupé.
On pointe du doigt une douchette optique.
Je pose le sac sur le tapis roulant, il se pèse tout seul, il part.
Unexpected item in the bagging area
Ce refrain des supermarchés britanniques me revient alors en tête.

Un coup de fil plus tard, j’énonce je suis à l’aéroport.
Ça faisait 6 ans que je ne l’avais pas dit.
Je me demande à quoi ressemblera le monde dans 6 ans.

J’ai l’impression que c’est la dernière fois que je le prendrai.

Au contrôle frontière, je regarde la caméra.
Je regarde la personne dans la cabine qui est la caméra des caméras, inspecte les passeports et les photos prises à l’instant.
Personne ne se regarde. Tout le monde est dans son monde. Exécuté sa tâche. Contrôler. Avancer. Sourire. Surveiller. Attendre. Avancer.
Nos regards ne se croisent pas.

Tout d’un coup, c’est Disneyland : des parfums, des bonbons, de l’alcool, du tabac. Que des produits issus de la colonisation planétaire. Pas de chemin alternatif. Le temple brillant de la consommation ou rien.

Je détourne à nouveau le regard.

À partir de maintenant, l’odeur qui règne est celle du kérosène, sur fond de salle d’attente et de halls vitrés géants — vides, très grands, mais trop petits pour accueillir tous les passagers d’un coup.

Je ne le sais pas encore
que je ne terminerai pas ce texte
que je mettrai des semaines à m’en remettre
qu’on me dira tu te prends la tête pour rien
lorsque j’ai évoqué à quel point je ne m’y suis pas senti bien.

Ce terminal, c’est tout ce que je déteste du monde, réuni en un seul endroit, rendu normal et facile.